Ancien vice-président du Syndicat des magistrats de Madagascar (SMM), le juge Fanahimanana, compte briguer un mandat au sein du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Entretien.
• Pourquoi avoir décidé d’être candidat à devenir membre du CSM ?– J’ai décidé d’être candidat au sein du CSM car, premièrement, au niveau du Syndicat, nous ne pouvons faire que des propositions. Nous n’avons pas voix au chapitre dans les prises de décisions. Devenir membre du CSM me permettrait alors de participer au processus de prise de décision pour l’amélioration des conditions des magistrats et l’image de la Justice. Deuxièmement, j’aspire à apporter des changements au sein de cet organe constitutionnel. Faire connaître un peu plus à la population ce qu’est le CSM. Lui apporter plus de visibilité, toujours dans le but de redorer l’image de la Justice.
• Le CSM est, justement, une institution relativement discrète. Comment allez-vous réussir à casser cette image ?– Étant une institution du pouvoir judiciaire, cette discrétion est une bonne chose. Cela ne veut, toutefois, pas dire corporatisme car, si des représentants de la société civile et des enseignants d’université font partie des membres du CSM, cela signifie que ses activités et ses décisions doivent être connues des citoyens et non uniquement réservés aux magistrats. Il faut que le Conseil supérieur de la magistrature soit plus dynamique.
• Vous parlez de corporatisme. N’y-a-t-il pas de risque que vous transposiez la lutte syndicale au sein du CSM ?- Le CSM et le SMM ont le même but, celui de défendre l’indépendance des magistrats et de la Justice. Seulement, le Conseil est plus discret. J’estime, cependant, que cette discrétion devrait avoir des limites car, si en ces temps où la Justice est fortement critiquée, il serait plus judicieux d’avoir une certaine proximité avec la population. Concernant la lutte syndicale, je pourrais faire un plaidoyer sur les idées que nous défendons durant les débats en vue des prises de décision. La raison du bras de fer entre le CSM et SMM, a toujours été les abus du Conseil. Ce sont, pourtant, deux entités qui doivent coopérer. Le CSM devrait même, êtreen première ligne de cette lutte pour l’indépendance de la Justice et les droits des magistrats.
• Étant donné son engagement syndical, le juge Fanahimanan ne risque-t-il pas de manquer d’objectivité s’il siège au CSM ?- L’un des points de mon programme est de faire du CSM un organe qui s’assure de l’intégrité et de l’équité. Ce qui implique que je compte m’assurer que le CSM respecte les droits des magistrats dans ses démarches et prises de décision, comme le droit à la défense durant les conseils de discipline. Je serais intransigeant sur ce point. Cela ne veut pas dire que je serais subjectif parce que les critères d’affectation, par exemple, sont clairs. Si les décisions respectent les textes, elles sont toujours, objectives.
« (…) faire du CSM un organe qui s’assure de l’intégrité et de l’équité . »
• Votre programme parle aussi, de redevabilité des membres du CSM. Comment ?- Il s’agira d’abord, d’une redevabilité envers ceux qui les ont élus. Cela se fera par le biais des rapports, ou encore, des consultations et les dialogues périodiques des magistrats. Les faire connaître, personnellement, les décisions qui ont été prises. En vertu de cette redevabilité et de la transparence, il est du devoir du CSM, également, de publier ses décisions pour les citoyens car, c’est une entité étatique, prévue par la Constitution.
• Vous affichez, aussi, vos intentions de réformer le CSM. Où en sont, justement, les travaux de la commission de réforme des textes comme celui concernant CSM mis en place avec le ministère de la Justice ?– Les informations qui me sont parvenues indiquent que la commission enchaîne les réunions. La réforme de la loi sur le statut des magistrats, jusqu’ici, a fini d’être discutée. Le texte sur le CSM et le décret concernant le code de déontologie s’ensuivront. L’idéal serait que ces réformes soient inscrites à l’ordre du jour de la session en cours du Parlement, mais je pense que cela ne sera pas le cas. L’engagement des discussions au sein de cette commission a, par ailleurs, décidé le Syndicat à atténuer la grève et faire un service minimum.
• Le constat est que, dans les grandes juridictions, notamment, à Antananarivo, la grève n’a pas été suivie. Pourquoi selon-vous ?– Cela pourrait s’expliquer par un manque de communication de notre part, membres du bureau permanent. Seulement, pourquoi dans des juridictions éloignées la grève a été suivie et non pas, à Antananarivo ? Pour moi, il pourrait s’agir d’une crainte des pressions et des représailles de la part du ministère, du pouvoir central. Cette pression est très forte dans la capitale. Ce qui est malheureux, par ailleurs, est que c’est, surtout le CSM qui est utilisé pour les représailles contre les magistrats.
• Pour en revenir à votre programme, quel type de réforme souhaiteriez-vous apporter au CSM ?– Si l’on se projette loin, l’une des réformes à laquelle j’aspire passe par la révision de la Constitution. En l’état actuel des choses, il s’agit de changer certaines pratiques au sein du CSM, comme la partialité. Il y a aussi, le fait de suivre les directives, voire les ordres de l’Exécutif.• Cela existe-t-il vraiment ?- Oui, ça existe. Des membres du CSM avaient tendance à se plier aux recommandations duministre de la Justice, vice-président du Conseil. Une amélioration a déjà été apportée, comme le fait que ce soit le ministre qui s’exprime en dernier durant les réunions pour éviter d’influencer les débats. On peut, néanmoins, toujours mieux faire. Il y aussi le premier président de la Cour suprême et le procureur général de la Cour suprême qui sont des membres d’office et qui ont tous les magistrats sous leurs autorités.• Les membres du CSM n’ont-ils pas les mêmes prérogatives dans les débats et les prises de décisions ? – Justement, les membres du CSM doivent avoir à l’esprit qu’ils sont sur un même pied d’égalité. J’estime même que les membres élus, jouissant de la légitimité électorale, devraient avoir plus de poids au sein du Conseil.Il ne devrait même plus y avoir de membres d’office au sein du CSM. Comme la Constitution prévoit que le président de la République et le ministre de la Justice sont le président et le vice-président du Conseil. Un point qui sera difficile à changer. Les membres d’office prévus par la loi organique ne devraient, cependant, plus avoir lieu d’être. Les chefs de juridictions et présidents de Cour ne devraient pas non plus avoir le droit d’être candidat pour siéger au sein du CSM.
• Pourquoi faire une telle distinction ?– La raison est simple. Les magistrats sont sous l’autorité des chefs de juridiction. Ce sont ces chefs qui font les évaluations, les notations à soumettre au CSM pour les avancements de grade. Et ce seront donc, encore, ces chefs de juridiction qui vont trancher sur le cours de votre carrière au sein du Conseil supérieur. Les magistrats pourraient voter pour ces chefs par crainte. La qualité des relations de travail entre le magistrat et son chef pourrait, aussi, influer sur les avis de ce dernier durant les débats au Conseil. Les membres du CSM ne peuvent, par ailleurs, pas être affectés durant leur mandat. Certains chefs de juridiction tendent à faire de la candidature au sein du CSM, un moyen pour prolonger la durée de leur maintien en poste. Il y a déjà eu, du reste, des cas où des chefs de juridiction membres du CSM, avaient profité de leur statut pour faire des interventions. Une situation qui augmente un peu plus la vulnérabilité du magistrat.
Propos recueillis par Garry Fabrice Ranaivoson