C’est avec le verdict des récentes législatives allemandes que Tom Andriamanoro débute sa chronique hebdomadaire. Une occasion pour lui de rendre hommage aux grands Chanceliers de ce pays qui a su se relever rapidement des affres de la guerre. Sur le modèle américain.
Monde – Au pays des grands Chanceliers
Après le verdict des législatives allemandes, un bonus de quatre ans s’offre à Angela Merkel pour continuer à être l’homme, pardon, la femme politique la plus puissante d’Europe. Est-ce suffisant pour se persuader qu’elle est, ou qu’elle figure parmi les plus grands à son poste ? Prudence, car il y a déjà eu Bismarck dont l’exemple a influencé tout de travers le maître du troisième Reich. On se souvient, il y a quelques mois de cela, des obsèques du grand- au sens propre comme au figuré- Helmut Kohl qui ont déchiré sa famille, au point que l’Union Européenne a préféré lui rendre hommage de l’autre côté du Rhin. Car Kohl fut un très grand homme d’État. Il y eut surtout celui qu’on appela « le vieux renard de Bonn », à qui échut, au lendemain de la guerre, la double mission, d’une part de faire accepter par les Allemands qu’ils ont bel et bien perdu et d’autre part, de ramener l’ Allemagne à la seule place dont peut s’accommoder l’orgueil du pays de Siegfried : celle de tête, à une bonne longueur de tous les autres. Nous avons nommé, bien sûr, Konrad Adenauer. On était en plein dans les années 50 que les Allemands eux-mêmes désignaient par le terme de « Heure zéro » pour bien montrer que le pays repartait du néant absolu. Et il réussit son pari, dépassant largement la France en termes de reconstruction, alors que la destruction de l’Allemagne était dix fois plus importante. En à peine dix ans, l’Allemagne reprenait sa place sur les marchés économiques mondiaux, et le mark ouest-allemand devenait une des monnaies les plus sûres d’Europe.Konrad Adenauer a été élu Chancelier en 1949 à une seule voix de majorité, probablement la sienne. En arrivant au pouvoir, une situation peu réjouissante l’attendait, dont un taux de chômage véhiculant les sirènes de la propagande communiste. Alors que l’Angleterre victorienne imposait un dirigisme sévère à son économie pour tenter de renflouer une situation financière désastreuse, Adenauer choisit de laisser le champ libre à l’initiative privée. L’aide américaine atteignait le niveau colossal d’un milliard de dollars l’an, ce qui a fait dire à certains observateurs critiques que « Fritz a survécu grâce à Joe » …Un des plus grands exploits de Konrad Adenauer, dont il partage le mérite avec son éminence grise, le pacifiste Doktor Theodor Blank, est la reconstitution de l’armée allemande qui n’a certainement pas été acceptée de gaieté de cœur par les Alliés. Et pourtant, il fallait s’y attendre : en suivant les manœuvres des armées alliées en Westphalie en 1952, Blank prédisait sans la moindre hésitation : « Des soldats allemands y participeront dans trois ans. » C’est ce qui arriva. Côté équipement, il n’y eut aucun souci à se faire, puisque d’énormes stocks américains et britanniques furent fournis, allant de la mitraillette au dernier modèle du char Centurion, le plus puissant du monde. Telle que concoctée par la paire Adenauer-Blank, la nouvelle armée allemande devait être à la fois la plus puissante force de combat européenne, et l’armée la plus démocratique du monde, suivant en cela les prescriptions de la Loi fondamentale d’inspiration américaine. Quelque 120 000 jeunes volontaires en formèrent le noyau initial, alors que l’opposition la plus forte à cette Wehrmacht ressuscitée venait des Églises catholiques et protestantes. Dans son journal « Wacht », l’Association catholique de la jeunesse avertissait : « Quiconque n’a pas rampé, le fusil à bout de bras, à travers la cour d’une caserne, pourrait croire que le service militaire était de vraies vacances, et la cour des casernes prussiennes un terrain de golf. » Ils ont simplement oublié que l’Allemagne est un pays où l’art de la guerre a été porté à son summum, presque à la hauteur d’une religion…
Synchronisme parfaitAdepte d’une vie très simple, Adenauer ouvrait volontiers sa porte aux photographes, pour se laisser surprendre à table ou au living en compagnie de sa fille Elisabeth et de son fils Georg. Question certainement de montrer qu’il était un Allemand comme tous les autres dans une Allemagne de 1955 qui « vit et travaille ». Au fait, comment vivent-ils ces Allemands de l’ère Adenauer ? Ce journaliste a rendez-vous avec un monsieur-tout-le-monde, appelons-le Herr Müller, ouvrier de son état. À 16h30, avec un synchronisme parfait, l’usine cesse de bourdonner et la grille monumentale tourne sur ses gonds. Motorisés ou non, quelque 2 000 ouvriers avides de liberté sortent en bon ordre, sans bousculade inutile. « Guten abend ! C’est moi Herr Müller, vous me reconnaissez ? » Pour briser la glace, le journaliste français propose de prendre un pot. Petit rire d’Herr Müller : « Ici ce n’est pas dans les habitudes de s’arrêter au café en retournant chez soi ! D’ailleurs, voyez par vous-même. » Il balaye la rue du geste. Pas de débit de boisson à proximité de l’usine. Interdit. Les deux hommes arrivent sur un terrain en pente douce, occupé par des files parallèles de pavillons jumeaux de construction récente. D’autres rangées de maisons sont sur le point d’être achevées. « C’est l’usine qui fait édifier ces constructions et les cède en location-achat. Elle y trouve son compte. »« Anna ! » Une jeune femme blonde accourt à l’appel. Herr Müller fait, visiblement avec fierté, les honneurs de son chez-soi. « Ce n’est pas bien grand, mais c’est suffisant pour nous quatre. Trois pièces au rez-de-chaussée, trois chambres plus un waschraum à l’étage. » La porte s’ouvre en coup de vent, laissant le passage à un jeune garçon et sa sœur. « Hello Dad ! » Jeans, chemises bigarrées et pâte à mâcher bien en bouche complètent la scène importée droit d’Outre-Atlantique. Insensiblement mais sûrement, l’Allemagne se modèle à l’image du plus puissant de ses vainqueurs, notamment pour ce qui est de l’utilisation des revenus familiaux et du recours au crédit. « Ein millimeter breite existenz », une vie calculée au millimètre près.
Patrimoine – Si Manampisoa m’était conté
Manampisoa était un des beaux palais en bois du Rova d’Antananarivo et, comme tous les autres, il a été emporté par l’incendie du 6 novembre 1995. On doit sa construction à la reine Rasoherina, laquelle en confia la supervision à James Cameron. Sans certainement le vouloir, elle déclencha par cette décision les hostilités entre missionnaires avec, d’un côté, James Cameron très apprécié de la Cour et, de l’autre, les bâtisseurs d’églises dont Sibree. Motifs, le chantier de Manampisoa coïncidait avec celui du temple commémoratif d’Ambatonakanga, du matériel était souvent réquisitionné au Rova où, telle la goutte d’eau de trop, de plus en plus d’ouvriers qualifiés choisissaient de travailler, y étant mieux payés. Chaque camp abreuvait Londres de rapports incendiaires autant pour se justifier que pour mieux enfoncer l’autre. Cameron, par exemple, n’oubliait pas de rappeler que c’est grâce à lui que la Mission a pu obtenir le site d’Ambatonakanga.Sur le chantier qu’elle surveillait personnellement matin et soir, Rasoherina exigea que l’on utilise comme mesure de référence ses propres « refy » correspondant à la distance entre chaque extrémité des bras. Pour elle, cela faisait exactement 1,60m. Les grandes dimensions devaient être des multiples de cette unité, et les petites des, sous-multiples. Cameron devait en plus tenir compte de son aversion pour les chiffres pairs, notamment le 6 et le 8 considérés comme « fady ». Les travaux durèrent deux ans. Le soir de l’inauguration, tout Antananarivo était plongé dans le noir car il appartenait à la Reine, et à personne d’autre, d’apporter la lumière à sa nouvelle résidence. « Que personne n’allume du feu quand j’inaugurerai ma maison. Moi seule le ferai ». De 22 heures à l’aube, les salves crépitaient chaque demi-heure et, faveur exceptionnelle faite au peuple, avec le jour naissant, les portes du Rova furent ouvertes à tous.Du côté des missionnaires anglais, la paix chrétienne n’était toujours pas revenue. Sibree notamment ne voulait rien entendre : avec un peu plus de considération pour les vraies priorités, Ambatonakanga aurait déjà accueilli le peuple de Dieu depuis longtemps…
Les partis de l’opposition togolaise ont manifesté, les 20 et 21 septembre, contre le président Faure Gnassingbe Eyadema et ses forces de répression.
Afrique – Histoire togolaise
Mes souvenirs de Lomé ont pris des rides. J’y étais pour une formation en gestion commerciale d’aéroport, et l’hospitalité togolaise avait mis à ma disposition un petit logement de passage, perdu dans le domaine de l’aéroport de Lomé Toucoin. Pas âme qui vive, pas même celle d’un chat de gouttière dans cette solitude africaine qui m’angoissa jusqu’au petit matin. Pour la suite de mon séjour, je fis appel à toute l’hypocrisie dont j’étais capable pour obtenir un hébergement plus classique à l’hôtel, qui me fut accordé. Lomé, me v’là pour de bon ! Je me souviens encore d’une belle petite ville agréable à vivre qui me fit penser, peut-être à cause de la densité du trafic de bicyclettes dans les rues, à Antsirabe de la meilleure époque, transplantée sur les rives de l’Atlantique. Ajoutez-y un cosmopolitisme franco-germano-britannique ne détonant point avec son fond africain, et une longue corniche où s’alignent d’excellents restaurants de tous les continents. J’y ai emmené une fois mon chauffeur, question de ne pas dîner en solitaire. Bien mauvaise idée, car le pauvre s’y est senti aussi à l’aise que s’il était sur quelque planète non encore identifiée. Autre anecdote cette fois cocasse, quand j’ai demandé au même chauffeur le nom du quartier que je voyais à une certaine distance : « Mais non, Monsieur, ce n’est plus Lomé, c’est le Ghana ! » Premier contact d’un ilien avec une réalité inconnue chez lui : celle des frontières…Ce charme presque idyllique que je trouvais à la ville de Lomé avait son revers : le culte de la personnalité injecté à forte dose par Eyadema père, dont la statue domine l’esplanade devant la Maison du Parti . De nombreuses rues étaient baptisées de dates mémorables liées au parcours du Président. Celle, par exemple, où il est sorti indemne d’un accident d’hélicoptère. Une rue échappait à cette uniformité, puisqu’elle portait le nom d’une dame. Je déchantais bien vite en apprenant qu’il s’agissait de la mère du Président … C’est contre ce qui est dangereusement très actif et très présent derrière ce folklore, dont les principaux ingrédients sont le tripatouillage des lois et le pouvoir personnel perpétués par Eyadema Fils, Faure de son prénom, que s’insurgent aujourd’hui les Togolais en général, et ceux de la capitale en particulier. Les revendications tournent autour de deux points : le retour à la Constitution de 1992 trop souvent violée, et le départ de Faure dont les modalités ne font néanmoins pas l’unanimité : les uns tiennent à un départ immédiat une fois les réformes adoptées, d’autres, par contre, veulent le laisser terminer son présent et troisième mandat. Les partisans d’un départ immédiat ont leurs raisons : si on laisse le Président terminer ce troisième mandat alors que, par principe, tout le monde s’accorde sur un maximum de deux, il trouvera les moyens de s’accrocher à son fauteuil, car ce n’est pas l’expérience en la matière qui manque à la dynastie Eyadema. C’est un pays resté trop longtemps en hibernation qui se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.
Rétro pêle-mêle
« Misy raha la Terre » de Kotoniaina sur TV plus, qui l’a oublié ? Cette émission qui faisait exploser l’audimat tous les mardis était une tête chercheuse fouinant sans complaisance au fond de nos préjugés et de nos inhibitions. Avec « Misy raha la Terre », les sujets qui dérangent ou qui choquent sont abordés sans la moindre gêne, comme ce jeune homme complètement défiguré par ses graves brûlures, rejeté par la société tel le « monstre » qu’il est devenu, mais qui semble avoir retrouvé sa part d’humanité face à la caméra, cette intruse. Une autre fois, les invitées de l’émission étaient deux prostituées amenées au plus vieux métier du monde par la détresse humaine. Défiant le regard des téléspectateurs, on jurerait qu’elles étaient putes et fières de l’être, fières de ne pas avoir sombré face au jugement des « autres », fières d’être toujours debout. Une phrase de Saint- Exupéry vient à l’esprit, quand il faisait dire à l’un de ses héros survivant d’un crash sur les flancs de l’Himalaya : « Ce que j’ai fait, aucune bête ne l’aurait fait. » Retour à nos vedettes d’un soir, qui n’ont rien oublié des ébats contre-nature, des chantages d’abandon en pleine nuit et en rase campagne par une bande de violeurs avinés, elles n’ont pas oublié non plus que pour se venger d’être les éternelles victimes, il leur est arrivé de s’en prendre à des petits vieux délestés, vite fait bien fait, de leur pension à peine retirée. Tout ici est traité sans rougeur, comme dans un jeu de vérité souvent cru,parfois cruel, sans recours aux images floues ou prises de dos. Maintenant que l’émission fait partie des archives, et que son réalisateur n’est plus, peut-on avec le recul se demander si, avec « Misy raha la Terre », un Malgache nouveau a failli naître, libéré du faux-semblant et des convenances tartuffiennes ? À chacun sa réponse.
Lettre sans frontière
Jean-Marie Le ClezioIn Le Chercheur d’or
Comme aux premiers jours du monde
J’aime quand il parle de Saint Brandon, parce qu’il en parle comme d’un paradis. C’est le lieu qu’il préfère, où il revient sans cesse par la pensée, par le rêve. Il a connu beaucoup d’îles, beaucoup de ports, mais c’est là que le ramènent les routes de la mer. « Un jour, je retournerai là-bas pour mourir. Là-bas, l’eau est aussi bleue et aussi claire que la fontaine la plus pure. Dans le lagon elle est transparente, si transparente que vous glissez sur elle dans votre pirogue, sans la voir, comme si vous étiez en train de voler au-dessus des fonds. Autour du lagon, il y a beaucoup d’îles, dix, je crois, mais je ne connais pas leurs noms. Quand je suis allé à Saint Brandon, j’avais 17 ans, j’étais encore un enfant, je venais de m’échapper du séminaire. Alors j’ai cru que j’arrivai au paradis, et maintenant je crois encore que c’était là qu’était le paradis terrestre, quand les hommes ne connaissaient pas le péché. J’ai donné aux îles les noms que je voulais : il y avait l’île du fer à cheval, une autre la pince, une autre le roi, je ne sais plus pourquoi. J’étais venu avec un bateau de pêche de Moroni. Les hommes étaient venus là pour tuer, pour pêcher comme des animaux rapaces. Dans le lagon, il y avait tous les poissons de la création, ils nageaient lentement autour de notre pirogue, sans crainte. Et les tortues de mer, qui venaient nous voir, comme s’il n’y avait pas de mort dans la création. Les oiseaux de mer volaient autour de nous par milliers… Ils se posaient sur le pont du bateau, sur les vergues, pour nous regarder, parce que je crois qu’ils n’avaient jamais vu d’hommes avant nous… « Alors nous avons commencé à les tuer ». Le timonier parle, ses yeux verts sont pleins de lumière, son visage est tendu vers la mer comme s’il voyait encore tout cela. Je ne peux m’empêcher de suivre son regard, au-delà de l’horizon, jusqu’à l’atoll où tout est neuf comme aux premiers jours du monde. Il parle de la tempête qui vient chaque été, si terrible que la mer recouvre complètement les îles, balaie toute trace de vie terrestre. Chaque fois la mer efface tout, et c’est pourquoi les îles sont toujours neuves. Mais l’eau du lagon reste belle, claire, là où vivent les plus beaux poissons du monde et les peuples des tortues.
Textes : Tom AndriamanoroPhotos : AFP - Agence Nationale Taratra