Cette semaine commémore, certes dans la discrétion, le triste anniversaire de l’incendie criminel d’Anatirovan’Antananarivo. Un geste insensé dont la main coupable n’a toujours pas été retrouvée, mais dont les conséquences sur le patrimoine et l’héritage historique sont insondables.
L’impossible reconstruction d’Anatirova. Une idée qui revient souvent en tête dès lors que l’on repense au désastre qui s’est déroulé devant nos yeux, un jour du mois de novembre 1995. On y a perdu, entre autres, les palais de Mahitsielafanjaka, Besakana, Manampisoa, Tranovola et Manjakamiadana. Le parcours historique de ce site nous rapporte que dans le temps, plusieurs constructions ont été édifiées, détruites, remplacées ou rénovées au fil des époques. Mais aucune de ces modifications n’aura l’impact désolant : Anatirovan’Antananarivo, qui a survécu aux bombardements des colonisateurs depuis Ambohidempona, au cours d’une épisode qui sera l’une des plus tragiques de l’histoire malgache, ne résistera pas au crime par le feu. Plusieurs centaines d’objets ont été sauvés des flammes et précieusement sauvegardés, mais le site sortira défiguré et totalement décimé de son âme et de son histoire. Aujourd’hui, vingt deux ans plus tard, le majestueux Manjakamiadana est sur pied : un travail colossal qui mérite le respect, malgré les anomalies et non-concordances avec les détails architecturaux initiaux que les historiens et connaisseurs lui accorderont. Mais c’est une reconstruction qui reste embryonnaire, au regard de la tâche immense pour réhabiliter le site.Cependant, malgré ce drame douloureux, les précautions n’auront pas toujours été constantes pour sauvegarder le patrimoine. Le feu s’est déclaré dans d’autres sites, tels que les Rova d’Ilafy et d’Ambohidratrimo en 2014 et 2015, sous une molle et très peu convaincante condamnation de la ministre de la Culture de l’époque. Alors même que nous avions essuyé une catastrophe aux impacts quasiment irrécupérables, de tels scénarios auraient dû être prévenus.
Les élèves du Club Rainandriamampandry et leurs encadreurs lors d’une exposition sur la vie de Ranavalona III, dans le rez-de-chaussée du palais de Manjakamiadana.
Nous autres, civilisations, nous sommes mortelles… Au-delà de ces imprudences, c’est surtout l’idée de la conservation du patrimoine malgache, matériel et immatériel, qui manque. Anatirovan’Antananarivo reste l’exemple ultime de la perte de cet héritage, mais d’autres patrimoines se détruisent ainsi, par le feu ou le vandalisme, par l’absence de transmission et de partages, et surtout pour avoir cédé face à la facilité, au sur-jeu du modernisme et face à l’oubli. De ces patrimoines, l’on compte l’architecture, le savoir-faire de la soie, le patrimoine musical et culinaire, l’usage des plantes médicinales, pour ne citer que ces exemples.« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », écrivait Paul Valéry dans « La Crise de l’esprit », 1919. L’embardée malgache devant sa propre histoire donne l’impression que nous sommes le prochain « monde disparu tout entier ». « L’abîme de l’histoire » est certainement très grand pour contenir tout ce que nous choisissons volontairement de brûler, détruire ou oublier.Cependant, malgré cette réticence à sauvegarder le patrimoine, un salut particulier à ces associations ou simples individus qui, par leur dévouement et leurs engagements, aident à faire connaître l’histoire et le patrimoine, avec l’envie de partager et de contribuer à rendre le savoir accessible à tous.
De jeunes enfants encadrés par les volontaires de l’association Liberty 32, découvrent Anatirovan’Antananarivo.
Manjakamiadana, ce géant qui ne laisse pas indifférent
Le palais de Manjakamiadana se découpe sur le ciel d’Antananarivo. Dès l’entrée dans l’enceinte du site, sa silhouette s’impose au regard. Malgré le fait que l’actuel palais est une reconstitution de l’ancien, emporté par les flammes et que cette même reconstitution ne respecte pas forcément les détails du premier, l’on ne reste pas indifférent à Manjakamiadana.Initialement, il s’agissait d’un palais en bois conçu par le Gascon Jean Laborde, entre 1839 et 1841, pour la reine Ranavalona Ire, puis ceinturé de murs en pierres de taille, œuvre de l’Écossais James Cameron, entre 1869 et 1872. En réalisant cette ceinture de pierres, Cameron a aussi créé une tour sur chaque angle du palais, formant l’aspect que nous lui connaissons désormais. Sur l’une de ces tours, une horloge importée de Grande-Bretagne égrainait les heures d’Antananarivo.Le palais initial a fait appel à la contribution de milliers de personnes des quatre coins de l’Imerina et au-delà. Le transport des bois précieux, tels que l’ébène, le bois de rose, le palissandre, depuis les forêts jadis épaisses de l’Est vers Antananarivo, n’a pas été une mince affaire à une époque où tout transbordement se faisait à dos d’homme: beaucoup y ont laissé leur vie.
La réorganisation des Musées
Avant la destruction de l’Anatirovan’Antananarivo, de très appréciables travaux de conservation y ont été menés. Dans ce cadre, il est important de citer ce témoignage historique majeur de Suzanne Razafy-Andriamihaingo, « Colline sacrée des souverains de Madagascar, le Rova d’Antananarivo», L’Harmattan, 1989Suzanne Razafy-Andriamihaingo était professeur d’Histoire de l’Art et conservateur en chef des musées des Rova d’Antananarivo et d’Ambohimanga, de 1946 à 1961. Avant de s’occuper des sites malgaches, elle était en charge au sein du musée de Versailles et des Trianons.Sur son initiative, une nouvelle présentation du musée est organisée, afin d’en faire une exposition plus rationnelle, plus intelligible et plus attrayante. Vitrines de différentes tailles et formes, mannequins, panneaux, autant de moyens pour rendre les lieux aussi illustrateurs que possibles de la beauté d’Anatirovan’Antananativo tant par son histoire que son patrimoine.À travers son livre, l’ancienne conservateur du musée des Rova d’Antananarivo et d’Ambohimanga permet de reconstituer ce que fut les deux sites à l’époque de leurs conservations.
Une grande salle d’exposition d’objets royaux
Le travail de conservation a réellement commencé vers la moitié du XXe siècle afin d’organiser la présentation des objets, mobiliers, habits, bijoux, étendards et tableaux qui se trouvaient dans cette salle. Ce fut un travail titanesque qui a permis d’inventorier, arranger et exposer l’ensemble du patrimoine d’Anatirovan’Antanananarivo d’une manière intelligible et étudiée.La salle du trône s’étend sur une superficie de plus de 300m² d’un seul tenant. Le trône est surmonté d’un dais de velours grenat qui vient de France. Les habits portés par la reine Rasoherina et le Premier ministre Rainilaiarivony sont exposés sur des mannequins. Dans des vitrines de différentes formes, placées au centre et le long des murs, l’on pouvait admirer des habits royaux, dont le manteau de velours porté par Ranavalona III lors de son couronnement, des robes et des coiffures royales, des vêtements d’enfants de Radama et son vieil habit militaire, une robe de chambre brodée d’or de Radama II. On y exposait aussi une parure en corail et en or massif; ainsi que la Grand-croix de l’ordre de la Légion d’honneur avec son cordon qui fut remise à Ranavalona III en 1888. Au second étage, l’on trouvait la salle des beaux-arts, créée vers la fin des années 1920. Ce même étage consacrait une salle dédiée aux artistes malgaches, décorée de fresque en bois sculpté. Dix ans avant l’incendie, Manjakamiadana a été fermé au public pour cause de rénovation.
Besakana avait une aura particulière et invitait à un voyage mystique dans le temps.
Besakana, la mystique – Un saut dans le temps
À l’origine, trois différentes cases s’appelaient Besakana. Une première qui vit le jour en 1642, construite par le roi Andrianjaka. Puis une seconde, en 1680, sous le règne d’Andriamasinavalona. Enfin, une troisième qui fut construite au XVIIIe siècle par Andrianampoinimerina. Besakana est une case un peu mystérieuse : de tous les palais d’Anatirova, il est celui qui a certainement une aura mystique et, voisin de l’immense Manjakamiadana et de la moderne église protestante d’Anatirova, Besakana représente un véritable saut dans le temps. À l’instar de la case Mahitsielafanjaka, sa forme est très illustrative de l’architecture ancienne de l’Imerina.C’est une case en bois, recouverte d’un toit de chaume très pentue. Elle abrite, à chaque intronisation et décès d’un souverain, une cérémonie et des rituels très policés. C’est dans Besakana que se déroulaient le Fandroana du temps de la première Ranavalona et c’est dans ce même lieu que les souverains recevaient l’offrande de loyauté de leurs sujets, plus communément appelé « hasina ». Besakana a été détruit lors de l’incendie du 6 novembre 1995. Il n’en reste plus que les perches croisées qui formaient l’ossature de la case.
Tranovola, qui avait pendant un temps abrité le Musée de Paléontologie.
Tranovola, l’innovation architecturale
Tranovola est l’œuvre de l’architecte Louis Gros pour Radama Ier. Ce palais d’argent qui sort de terre en 1820, était alors une véritable révolution dans le paysage architectural de l’époque. C’est le tout premier palais qui comportera des étages, une véranda, des fenêtres vitrées et un toit à quatre pans dissimulés sous les bardeaux. Cette première version de Tranovola est détruite en 1845, puis remplacée par une bâtisse selon la même configuration, mais plus imposante que la première.Radama Ier se servait de la pièce principale de Tranovola pour accueillir bals et réceptions officiels. Ranavalona III utilisait cette même pièce, mais dans la seconde version du palais, pour ses audiences diplomatiques. Dans cette salle, une frise de peintures sur papier réalisée par des peintres malgaches sous la supervision de Coppalle et qui seront, en 1897, reproduites à l’identique sur toile.Pendant un temps, cette salle était devenue un Musée de Paléontologie qui renfermait les collections scientifiques de l’Académie malgache. Quant aux étages de Tranovola, une partie était restée non aménagée, tandis qu’une autre partie était utilisée comme logement de fonction du conservateur en chef de l’Anatirovan’ Antananarivo.
Mahitsielafanjaka, demeure d’Andrianampoinimerina.
Mahitsielafanjaka, spartiate et puissant
Mahitsielafanjaka, case d’Andrianampoinimerina est, avec Besakana, le palais qui illustre le mieux l’architecture traditionnelle des Hautes Terres malgaches et aussi le mode de vie de la population de l’époque. Mahitsielafanjaka a été construite en 1796. C’est une case spartiate, de 18m de hauteur sur 5m de largeur, supporté par de solides piliers. La case en bois et au sol en terre battue, ne dispose que d’une pièce unique. Une plateforme surélevée sert de lit. On y trouve des objets du quotidien, disposés selon un agencement précis et immuable; jarre d’eau, mortier à riz, pilon et van ; étagères avec des assiettes en terre graphitée; un foyer ; un siège et une tablette. Le pilier central était en palissandre. Malgré cet ensemble sommaire, la case Mahitsielafanjaka revêt la puissance du guerrier qui y habitait. Le talisman Manjakatsiroa, protecteur de la famille royale, était gardé dans cette case d’Andrianampoinimerina.
Manampisoa comportait plusieurs salles dédiées aux rois,reines et au Premier ministre.
Manampisoa, l’écrin de l’héritage de la famille royale
Au moment des travaux de conservation d’Anatirovan’Antananarivo, le palais de Manampisoa deviendra le lieu où sera sauvegardé l’héritage de la famille royale de l’Imerina. Les plans de Manampisoa, qui ressemble plus à un charmant cottage qu’à un palais, ont été réalisés par James Cameron. L’architecte William Pool, à qui l’on doit aussi le temple protestant d’Anatirova, s’est chargé de la construction de ce palais de la reine Rasoherina. Manampisoa est inauguré en 1867, et est entièrement fait en bois précieux.L’intérieur est en marqueterie réalisée par des artisans malgaches du XIXe siècle. Au plafond, un lustre vénitien éclaire la salle qui contient des mobiliers d’époques, dont la table en palissandre sur laquelle le Traité de paix avec la France a été signé, en 1895. Les murs sont décorés par plusieurs tableaux anciens, dont le portrait de Ranavalona III par Trevor Haddon, celui de Radama II par Wattinghouse.Manampisoa contenait plusieurs salles dédiées aux souverains et au Premier ministre Rainilairivony. Les quatre salles du rez-de-chaussée étaient réservées à Andrianampoinimerina, Radama Ier, Ranavalona Ire et une salle était destinée à l’exposition d’armes d’époques. À l’étage, les pièces étaient dédiées au premier ministre Rainilarivony, à Rasehoerina, Ranavalona II et III, au roi Radama II. Dans ces pièces, l’on trouvait divers objets ayant appartenu aux souverains ou témoins de leurs époques respectives. D’autres documents historiques, comme l’exemplaire du traité de paix de 1885 avec la France, y étaient précieusement gardés sous verre. Les appartements de la reine se trouvaient à l’étage, qui furent plus tard aménagés pour accueillir les bureaux nécessaires afin d’assurer la conservation du musée du Rova.
Textes : Mialy RandriamampianinaPhotos : Mialy Randriamampianina – ANTA- Source inconnue