La valorisation de la diaspora constitue l’un des axes de la diplomatie malgache pour les années à venir. C’est dans cette optique qu’une direction spécialement en charge de ce dossier a été mise en place au sein du ministère des Affaires étrangères. Le responsable de ce département nous a accordé une interview, à cœur ouvert, pour expliquer les tenants et aboutissants de cette démarche.
*Les Nouvelles : Pouvez-vous nous donner plus d’explications à propos de l’attribution et le fonctionnement de ce département ?
– Lanto Rahajarizafy : C’est la première fois qu’une structure en charge de la diaspora est instaurée à Madagascar. C’est une nouvelle structure au sein du ministère des Affaires étrangères. Elle a été mise en place en 2015, en réponse à l’appel du Président de la République en 2014 pour une implication de tous les Malgaches à la reconstruction et au développement du pays. Avec la prise de conscience du pouvoir public sur le rôle que joue la diaspora, la mobilisation de la diaspora a été stratégiquement intégrée aux actions de la diplomatie malgache à travers la diplomatie économique.
*Plus précisément… ?
-Les actions de la Direction visent donc à atteindre cet objectif : l’élaboration d’une politique nationale sur l’engagement de la diaspora, le renforcement des liens entre la diaspora et Madagascar, l’appui aux associations de la diaspora, la mise en place de base de données, la mise en relation des associations et entrepreneurs de la diaspora avec les acteurs locaux, l’établissement de partenariat avec les partenaires nationaux et internationaux et la protection et l’assistance aux ressortissants malgaches à l’extérieur notamment les travailleurs migrants. Sur ce point, le ministère des Affaires étrangères, avec l’appui de l’Organisation mondiale pour les migrations (OIM), a pu rapatrier du Koweït et de la Chine 50 travailleurs migrants victimes de traite. De même, le ministère a assisté la famille malgache victime de l’attentat de Nice en collaboration avec la partie française.
*Pourquoi cet engouement soudain pour la diaspora au sein du MAE ?
– D’abord, il convient de souligner que la promotion et la protection des intérêts nationaux à l’étranger font partie inhérente de la diplomatie. Elles constituent l’essence et la raison d’être du ministère des Affaires étrangères. Ces rôles de la diplomatie sont consacrés par le droit international dans la convention de Vienne sur les relations diplomatiques et les relations consulaires. Ceci dit, le ministère s’est toujours occupé des ressortissants malgaches à l’extérieur à travers les représentations diplomatiques et consulaires, mais c’est la première fois que la mobilisation de la diaspora est inscrite d’une manière formelle dans le Plan national de développement et les objectifs de la mise en œuvre de la diplomatie économique avec un cadre institutionnel. Ce n’est donc pas un «engouement soudain».
*Justement, une étude a été faite sur la diaspora malgache en France récemment, qu’en est-il sorti de cette étude ?
– Effectivement, une étude sur le profil de la diaspora malgache en France a été menée de mai 2016 à juillet 2017 en collaboration avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) avec l’appui de la France. L’étude a permis de mieux connaître la diaspora malgache en France qui est la plus importante diaspora en termes de taille et de diversité, de compétence et de potentiel.
*Quelle est sa particularité ?
– Estimée entre 100.000 et 140.000 individus, cette diaspora est nettement plus féminine (63%) avec une concentration marquée en région Ile de France (37%) et une répartition équilibrée dans les autres régions. S’appuyant sur un ressort migratoire essentiellement individuel, son insertion en France est plutôt réussie : niveau d’études supérieur à la moyenne française et avec un taux de chômage inférieur à celui des autres immigrés en France. Elle garde des liens forts avec le pays et le volume des transferts financiers annuels est estimé à 86 millions d’euros. Enfin, l’étude a permis de constater sa volonté de participer au développement de Madagascar étant donné que 87% des personnes interrogées ont répondu dans ce sens.
*D’après cette étude, quelles sont les principales attentes de la diaspora par rapport à son pays ?
– La diaspora en France a deux préoccupations majeures : la mobilisation de son expertise et l’accès au droit de vote. Ces préoccupations viennent renforcer cette volonté de s’impliquer dans le processus de développement de Madagascar. En effet, la mobilisation de son expertise est essentielle car cette diaspora est intellectuellement supérieure à la moyenne française. Elle a pour souci de faire bénéficier le pays de cette expertise, mais il n’est pas toujours évident pour elle de le faire. Concernant le droit de vote, la diaspora marque une fois de plus son intérêt sur la situation du pays car elle souhaite que sa voix, en tant que citoyen malgache, soit prise en compte dans la gestion du pays. Les problèmes concernant la confiance envers les institutions publiques et l’identification de partenaires fiables à Madagascar constituent cependant un frein à sa volonté d’agir.
*Selon vous, l’Etat peut-il y répondre favorablement ?
– Les décisions et programmes adoptés vont dans ce sens. En effet, l’étape de la mise en place de la Direction de la diaspora au sein du ministère des Affaires étrangères a été franchie. Actuellement, nous nous attelons à l’élaboration de la politique nationale d’engagement de la diaspora. Ce processus est inclusif car il voit la participation de tous les acteurs concernés du secteur public et du secteur privé ainsi que la société civile et surtout de la diaspora elle-même, et tout cela sous le leadership du ministère des Affaires étrangères. Des ateliers ont eu lieu au MAE le 8 et 23 février dernier avec des représentants du corps diplomatique, du secteur privé, de la société civile et des institutions financières.
Par ailleurs, outre les rencontres avec la diaspora, les réseaux sociaux seront également utilisés pour poursuivre les consultations avec la diaspora concernant cette future politique nationale et les sujets qui les préoccupent.
*La diaspora comme levier de développement. Concrètement, comment est-ce faisable ?
– Effectivement, la diaspora peut être considérée comme un levier de développement et Madagascar ambitionne de faire de la communauté malgache à l’étranger un levier de développement, notamment à travers la mobilisation de cette dernière à augmenter le volume de transfert de fonds à caractère social (Ex : en envoyant de l’argent pour subvenir aux besoins des parents à Madagascar) ou à caractère économique (Ex : à travers des investissements dans des projets de développement dans sa région d’origine, les start-up) ou encore à travers la promotion de Madagascar dans le pays d’accueil, à travers le plaidoyer pour Madagascar dans les réseaux ou encore par les transferts de compétences. Le domaine de son action est vaste et beaucoup reste à exploiter.
*Le profil de notre diaspora à l’étranger le permet-il ?
– Je dirais sans hésitation que le profil de notre diaspora permet bel et bien de faire d’elle un levier de développement. D’ailleurs, la Direction de la diaspora a été mise en place pour cadrer les interventions allant dans ce sens, canaliser les transferts de fonds et/ou de compétence, et enfin pour faciliter les actions et les interventions.
*Au niveau de votre département, quelles sont les mesures que vous envisagez pour motiver la diaspora à soutenir son pays d’origine ?
– A part les actions d’ amélioration des services consulaires au niveau de nos représentations diplomatiques et la poursuite des projets de profilage de la diaspora dans d’autres régions, nous sommes actuellement en phase d’élaboration de la politique d’engagement de la diaspora malgache. Un comité interministériel en charge de la rédaction de ladite politique d’engagement est actuellement en cours de constitution.
* Quelles sont les actions à prévoir ?
– La feuille de route de la direction de la diaspora prévoit plusieurs actions qui tournent autour de trois axes : meilleure connaissance de la diaspora, renforcement des liens entre la diaspora et Madagascar, adoption de mesures favorisant l’engagement de la diaspora. Parmi ces actions figurent le projet de volontariat des jeunes, la facilitation et la réduction des transferts de fonds à travers la réduction des frais de transfert, le forum de la diaspora, le projet de mise en place de bureaux régionaux d’enrôlement pour le renouvellement des passeports. Le ministère des Affaires étrangères travaille avec les autres départements ministériels, les PTF, le secteur privé, les organisations régionales concernées afin de traduire ces objectifs à des résultats palpables.
*Certains membres de la diaspora semblent toutefois sceptiques, voire même distants, à la sollicitation du Gouvernement par rapport à ce genre de démarche…
– D’abord, toute initiative ou politique publique ne pourrait pas avoir l’adhésion de tous du premier coup. Cependant, cette situation ne devrait pas nous empêcher d’agir et d’aller de l’avant. Dans ce sens, nos actions actuelles consistent à rétablir la confiance par l’amélioration des services consulaires au niveau des représentations extérieures, c’est-à-dire les ambassades et les consulats et l’échange permanent des informations nécessaires. Par ailleurs, nos activités sont principalement axées sur le renforcement des liens entre ces Communautés malgaches à l’étranger et le pays à travers l’appui et l’organisation de diverses activités culturelles, des événements visant justement à raviver la fibre patriotique. Nous espérons ainsi que les efforts fournis pourraient convaincre les sceptiques à rejoindre notre démarche.
Propos recueillis par Jao Patricius