La crise préélectorale du mois d’avril 2018 avait engendré la formation d’un gouvernement d’union nationale après un accord politique. Le Premier ministre de consensus Christian Ntsay avait annoncé la tenue d’une élection présidentielle inclusive, anticipée dont le premier tour aura lieu le 07 novembre 2018. La date du deuxième tour est annoncée pour le 19 décembre 2018 sur un fond de tension socio-politique indiscutable et d’une paupérisation galopante d’une grande majorité de la population.
Le paradoxe d’une île aux trésors
Quand on évoque Madagascar, une situation paradoxale frappe aux yeux : un pays riche avec une population majoritairement pauvre.
Madagascar possède un potentiel humain et naturel conséquent. Il s’agit d’une population jeune avec 76% de moins de 35 ans sur environ 25 millions d’habitants. Le taux de croissance démographique est de 2,8% par an et 400000 jeunes arrivent sur le marché du travail chaque année. On y observe un cosmopolitisme extraordinaire mais aussi une diversité culturelle peu commune.
Le pays figure parmi les 10 « hot spots » de la diversité biologique mondiale et possède l’un des écosystèmes les plus riches du monde. Il abrite 2% de la biodiversité mondiale et l’endémicité de la flore et de faune oscille entre 80 % et 90% offrant ainsi une source perpétuelle d’émerveillement et d’étonnement. Cependant, la déforestation constitue une menace significative pour cet Eden (44% des forêts naturelles ont disparu ces 60 dernières années avec la pratique de la culture sur brûlis).
Le secteur minier offre un potentiel considérable alors qu’il ne représente que 4% du PIB (ilménite et zirconium à Fort-Dauphin, nickel et du cobalt à Ambatovy, graphite, chrome à Mahajanga, uranium à Antsirabe, filière aurifère, premier producteur mondial de saphir rose, des gisements de pétrole…).
Paradoxalement, la pauvreté gagne du terrain. Madagascar occupe en 2018 le quatrième rang des pays les plus pauvres du monde avec un PIB par habitant de 424 dollars. Environ 90% de la population gagne moins de 2 dollars par jour. Le pouvoir d’achat des ménages a été amputé des 2/3 en quarante-cinq ans (Période de 1963 à 2008).
En 2016, une étude du Coût de la faim en Afrique montrait une perte de 1,5 milliard de dollars par an (soit 14,5% du produit intérieur brut) en raison de la malnutrition particulièrement des enfants.
Actuellement, on observe un taux d’inflation de 6,8% et un taux de croissance de 5%. L’indice de développement humain (IDH) est faible avec un classement au 158e rang sur 188 pays. .Par ailleurs, la corruption gangrène la société toute entière. L’indice de perception de la corruption (IPC) de Transparency international(2017) classe la Grande île en zone rouge au 155e rang. Par conséquent, le climat des affaires est morose. Le rapport Doing Business de 2018 classe le pays au 162e rang sur 190.
Ainsi, le défi qui attend le futur Président de la quatrième république est immense pour sortir la majorité de ses compatriotes durablement de cet état de pauvreté chronique.
Une pauvreté et inégalité extrêmes
Les facteurs qui déterminent cette pauvreté sont multiples, variés, intriqués, internes et externes.
Les résultats de l’étude sur la pauvreté dans le cadre du projet Nopoor (2017), montrent une situation préoccupante de l’économie Malgache (Partenariat entre les enseignants et étudiants du Département Economie de l’Université d’Antananarivo et l’organisme français IRD).
Sans parler des aléas climatiques et d’une insécurité grandissante, la structure de l’économie malgache et les pratiques favorisent la paupérisation d’une majorité mais aussi l’enrichissement de quelques « élites ». (Précarité de l’emploi, désorganisation, corruption, prédominance du secteur informel, mauvaise répartition des richesses accentuant l’inégalité, faible taux de mécanisation agricole et de l’industrialisation…).
En outre, on assiste à un pillage systématique de nos ressources naturelles (une perte d’environ de 500 millions de dollars pour le secteur marin, une perte d’environ 700 millions de dollars pour le secteur minier, une perte de 750 millions de dollars sur 4 ans pour le trafic de bois de rose…).Selon Thinking Africa, Madagascar domine le classement de superficie de terres vendues ou louées aux investisseurs étrangers avec 3,7 millions d’hectares cédées depuis 2000. Il en résulte une détresse de la population rurale sans la mise en place de mesures d’accompagnement spécifique.
Changement de mentalité
En sacrifiant dans notre conscience le concept de destin commun et national, la société malgache se grippe et n’arrive pas à évoluer au-delà des calculs claniques, corporatistes et communautaristes. Cette situation nous confine dans une logique duelle, propice aux conflits mais aussi à une instabilité politique récurrente. Il est donc grand temps d’agir pour promouvoir une véritable Nation dans sa dimension culturelle (langue, passé commun) mais aussi politique (volonté de vivre ensemble sur une structure étatique).
Jusqu’ à présent, nos « élites dirigeants » ont tendance à fonctionner systématiquement sur un modèle clanique discriminant, endogame plutôt que sur une vision nationale. Ainsi, les projets sont d’abord conçus selon des considérations claniques au détriment de l’ensemble de la nation. Leur fonctionnement dualiste exacerbe la jalousie amenant les uns à soutenir des projets qui favorisent leur région et territoire d’origine tandis que les autres s’empressent de les saboter .Dans ce contexte, l’espoir d’un développement harmonieux reste utopique.
Dans un monde globalisé où les partenariats sont nécessaires et indispensables, la course vers l’argent facile de nos dirigeants successifs auprès des bailleurs de fonds impacte significativement sur la conduite des affaires internes du pays. Cette quête à la mendicité implique une dépendance grandissante vis-à-vis des puissances étrangères (qui lorgnent sur une partie de nos richesses) mais aussi une perte de dignité. En cas d’échec de leurs projets, ils ont tendance à fuir leur propre responsabilité en accusant les autres d’être à l’origine d’une telle déconvenue.
Malgré les différentes réalisations antérieures, on assiste ainsi à une incapacité de la classe dirigeante à mener efficacement un projet politique conforme aux aspirations profondes de la population. Il ne s’agit pas de problèmes de compétences individuelles (savoir, savoir-faire) mais plutôt d’un problème d’éthique, de savoir-être et d’un amour profond, sincère de ses compatriotes et de son pays.Notre classe dirigeante doit être dans l’excellence à tous les niveaux pour donner un signal fort auprès de la population. En effet, l’exemple vient d’en haut et la bonne gouvernance doit être la règle. Les institutions de la République doivent assumer leurs fonctions indépendamment pour permettre une autorégulation et l’application d’une vie démocratique dans un véritable Etat de droit.
« Chaque homme doit décider s’il marchera dans la lumière de l’altruisme créatif ou dans les ténèbres de l’égoïsme destructeur ». Martin Luther King
Il est temps de mettre un terme à la professionnalisation de la vie politique pour faire vivre réellement la démocratie. Il importe de redonner sa noblesse originale à la politique : servir la cité et être au service des autres et non pas se servir et être au service de sa carrière politique. Pour cela, il est impératif de faire appliquer :
Strictement le non-cumul des mandats ; Le non-renouvellement des mandats ; Mais aussi l’abolition des « privilèges et avantages », source de convoitises de cette fonction pour s’enrichir rapidement.
Dans ces conditions, il serait difficile d’être dans la vie politique durablement et l’alternance des hommes et/ou des idées amèneraient forcement à un progrès socio-économique indiscutable. Parallèlement, il faudrait encourager l’entreprenariat dans l’éducation et la formation de la population active, majoritairement jeune. Par ailleurs, une politique nationale agricole s’avère primordiale. Elle permettra de promouvoir l’agriculture familiale paysanne pour une autosuffisance alimentaire. Ce serait un moyen louable de s’enrichir et d’augmenter le PNB du pays !
Dans ce contexte de pauvreté extrême, il est choquant que les « élites » ne se bousculent pas pour faire leur déclaration obligatoire de patrimoine mais aussi que le Président de la République gagne plus de 60 fois le SMIC du pays (En France, son homologue touche 10 fois le SMIC).
Une collaboration fraternelle, sincère de toutes les entités s’avère utile, y compris de la diaspora.
Le « Fokonolona » et la décentralisation effective de proximité Il en découle la nécessité absolue d’instaurer un projet réellement commun et de nouvelles formes d’organisation, qui émanerait des Malagasy eux-mêmes, accepté par tous et répondant aux aspirations et aux véritables besoins de la population malgache. De cette manière, le Malagasy retrouvera sa dignité, sa fierté et ses valeurs. Des ponts seront établis à la place des cloisons du passé. La confiance vis-à-vis de la classe dirigeante reviendra et l’autorité de l’Etat se raffermira. Les cas de vindicte populaire et le sacrilège de vol d’ossements humains seront de lointains souvenirs.
Pour ce faire, il est impératif de se tourner vers la base qui est le « Fokonolona », cette institution la plus proche des citoyens et des citoyennes. Il est la base du développement selon l’article 152 de la constitution malgache. Il mérite d’être réactivé à sa juste valeur pour permettre un réel développement durable. Une des pistes serait le projet de « Fokonolona mivao » ( cf Fikambanana Fokonolona Mivao : FIMAFOM) avec son trépied de principes rénovateurs :
1-Le « Fihavanana » (concorde) mivao dans une tri-action collective en boucles permanentes : chercher ensemble, décider ensemble, progresser ensemble.
2-La facilitation des activités des « Fokonolona » par l’élite malgache.
3-La souveraineté des décisions du « Fokonolona » qui deviendra alors l’autorité suprême de l’Etat malgache.
Le système actuel est tellement sclérosé qu’il ne laisse aucune place à l’innovation des hommes et des idées. Selon Montesquieu, « lorsque, dans la République, le peuple en corps a la souveraine puissance, c’est la démocratie, lorsque la souveraine puissance est entre les mains d’une partie du peuple, cela s’appelle une aristocratie ».
Qu’attend le peuple Malagasy de ce futur Président de la république qui sera normalement connu au plus tard le 09 janvier 2019 ?
En tout état de cause, le développement durable de Madagascar pour le bien-être de sa population nécessite l’implication active de chaque citoyen. Il exige aussi une classe dirigeante dotée d’une probité sévère, d’un sens suprême de l’intérêt collectif et de l’amour profond de sa patrie et de ses compatriotes. Chaque centime dépensé serait au profit exclusif de l’intérêt collectif.
Ce défi est immense mais il ne faudrait surtout pas se décourager car disait Héraclite, « Si tu ne cherches pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas ». Des pays voisins comme la Rwanda (qui avait connu une guerre fratricide en 1994) ou l’Ethiopie nous démontrent, nous montrent la voie à suivre tout en gardant notre spécificité propre. En cette période pré-électorale, que le meilleur gagne dans un débat d’idées et de projets concrets, réalistes plutôt que dans le déploiement de moyens logistiques et financiers faramineux.
Dr Razafindramboa Andriamampionona
Antananarivo, le 30 août 2018